LE JEU EXCESSIF EN SUISSE

LE JEU EXCESSIF C'EST QUOI?

Le trouble lié au jeu d’argent, ou dépendance aux jeux d’argent, est un trouble psychique reconnu par l’Organisation Mondiale de la Santé depuis les années 90. Le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM 5, ouvrage de référence mondial de la psychiatrie sur les troubles psychiques) classe cette dépendance dans la section des troubles addictifs, au même titre que l’alcool ou les drogues. La dépendance au jeu est le premier trouble addictif reconnu qui n’est pas lié à une substance. On parle ainsi d’addiction sans substance, ou d’addiction comportementale. 

La Suisse compte environ 178’000 personnes ayant une pratique de jeu à risque et 15’000 personnes ayant un comportement pathologique en matière de jeu. Au total, 2,9% de la population est concernée par un comportement de jeu excessif, selon les données de l’Enquête suisse sur santé 2017[1]. Les jeunes (15-24 ans) sont deux fois plus concernés que les adultes.

On estime que seuls 3% des personnes concernées demandent de l’aide professionnelle. Ces personnes mettent environ 5 ans à demander de l’aide après l’apparition des problèmes de jeu[2]. Bien souvent, les conséquences négatives sont déjà bien installées.

[1] Dey M. et Haug S. « Glücksspiel : Verhalten und Problematik in der Schweiz im Jahr 2017 ». Schweizer Institut für Sucht- und Gesundheitsforschung. Zürich, 2019.

[2] Künzi K. et al. « Glücksspiel und Spielsucht in der Schweiz. Empirische Untersuchung von Spielpraxis, Entwicklung, Sucht und Konsequenzen. Bass, Berne. 2004.

A titre indicatif, depuis l'ouverture du premier casino en 2002, on compte actuellement :

79'917

personnes interdites de jeu.

12'133

personnes exclues en 2021 des casinos.

Chaque heure

Cela représente plus d'une personne exclue chaque heure.

Les conséquences

du jeu excessif en Suisse
Conséquences financières

Les problèmes financiers (endettement et surendettement) représentent la première cause de demande d’aide de la part de joueurs excessifs. Les pertes d’argent sont caractérisées par des dettes, factures non payées, crédits multiples. La dette moyenne des joueurs en traitement s’élève à 257’000 CHF, la médiane est à 40’000 CHF. 17% des joueurs excessifs se sont mis en faillite personnelle.

Coût social du jeu pathologique en Suisse

L’institut de recherche économique de l’Université de Neuchâtel estime que le jeu excessif coûte chaque année entre 551 et 648 millions de francs suisses à la collectivité, sous forme de dépenses de santé additionnelles, de production non réalisée et de perte de qualité de vie liée à la santé. Le coût social par joueur pathologique et par année est compris entre 15’000 et 17’000 francs[1].

[1] Jeanrenaud et al., « Le coût social du jeu excessif en Suisse. », Université de Neuchâtel, 2012.

Conséquences conjugales et extra familiales

Conflits conjugaux et familiaux, mensonges, violence verbale/physique, séparation ou divorce sont des situations inhérentes au jeu excessif. Près d’un quart des joueurs qui consultent sont divorcés ou séparés. Pour près de la moitié des joueurs excessifs divorcés, le jeu est en partie à l’origine de la séparation ou du divorce. L’isolement est une conséquence fréquente du jeu excessif, notamment due aux emprunts auprès d’amis et de proches. On estime que pour une personne dépendante au jeu, ce sont 6 proches de son entourage qui sont impactés[1].

[1] Goodwin B. et al. « A typical problem gambler affects six others ». Journal of Gambling Issues, 17(2). 2017 : 276-289. https://doi.org/10.1080/14459795.2017.1331252.

Conséquences sociales

Isolement social et coupures avec ses proches. Le jeu excessif amène à un renfermement sur soi et une solitude avec la perte de contact de ses ami·e·s et ses proches.

Conséquences sanitaires

Dépression – stress – honte – culpabilité – désespoir – idées suicidaires avec ou sans passage à l’acte. Plus du tiers des demandes d’aide liées au jeu excessif sont associées à des idées suicidaires lors de la première consultation. Les données de l’enquête menée auprès des centres de consultation montrent une proportion – très élevée – de 21% de personnes présentant des tendances suicidaires. D’autres problèmes tels que les troubles alimentaires, la dépendance au travail, les troubles du sommeil ou le recours excessif aux services de prostituées sont également mentionnés.

Comorbidités

Près des trois quarts des joueurs qui consultent ont une autre consommation problématique addictive : tabac : 60%, alcool : 40%, stupéfiants : 4%. Chez les jeunes, on note une association statistiquement significative entre le fait d’être un joueur à risque / problématique et l’usage problématique d’Internet, ainsi que la consommation de tabac, alcool, cannabis et autres drogues illégales.

Conséquences professionnelles

Retard – absentéisme – irritabilité – manque de concentration – licenciement. 18% des joueurs qui consultent sont au chômage, cette proportion est beaucoup plus élevée que dans l’ensemble de la population (3%).

Conséquences judiciaires

Activités illégales : vols – détournements d’argent – suites pénales ou civiles. 15% des joueurs qui consultent font l’objet d’une procédure pénale pour abus de confiance, détournement de fonds, escroquerie ou vol d’argent avec effraction.

Les critères diagnostiques

de la dépendance au jeu

La définition de l’OMS, l’International Classification of Diseases (ICD-10) ainsi que la définition de l’American Psychiatric Association (APA), le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5) constituent aujourd’hui les systèmes de classification les plus classiques pour le diagnostic de dépendance au jeu.

Jeu d’argent pathologique selon le DSM-5 (trouble lié au jeu d’argent)

(Source : American Psychiatric Association (2015)5)

Pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu d’argent conduisant à une altération du fonctionnement ou une souffrance, cliniquement significative, comme en témoigne, chez le sujet, la présence d’au moins quatre des manifestations suivantes au cours d’une période de 12 mois :

  • Besoin de jouer avec des sommes d’argent croissantes pour atteindre l’état d’excitation désiré.
  • Agitation ou irritabilité lors des tentatives de réduction ou d’arrêt de la pratique du jeu.
  • Efforts répétés mais infructueux pour contrôler, réduire ou arrêter la pratique du jeu.
  • Préoccupation par le jeu (p. ex. préoccupation par la remémoration d’expériences de jeu passées ou par la prévision de tentatives prochaines, ou par les moyens de se procurer de l’argent pour jouer).
  • Joue souvent lors des sentiments de souffrance/mal-être (p. ex. sentiments d’impuissance, de culpabilité, d’anxiété, de dépression).
  • Après avoir perdu de l’argent au jeu, retourne souvent jouer un autre jour pour recouvrer ses pertes (pour se « refaire »).
  • Ment pour dissimuler l’ampleur réelle de ses habitudes de jeu.
  • Met en danger ou a perdu une relation affective importante, un emploi ou des possibilités d’études ou de carrière à cause du jeu.
  • Compte sur les autres pour obtenir de l’argent et se sortir de situations financières désespérées dues au jeu.
  • Spécifier la sévérité actuelle
  • Léger : Présence de 4-5 critères.
  • Moyen : Présence de 6-7 critères.
  • Grave : Présence de 8-9 critères.

Caractéristique diagnostique : Le jeu d’argent pathologique implique le fait de risquer quelque chose de valeur dans l’espoir d’obtenir quelque chose de plus grande valeur. Dans de nombreuses cultures, les individus parient sur les jeux ou les évènements, et la plupart le font sans rencontrer de problèmes. Cependant, certains sujets manifestent des difficultés substantielles en rapport avec leurs conduites de jeu d’argent pathologique. La caractéristique essentielle du jeu d’argent pathologique est un comportement de jeu pathologique persistant et récurrent qui perturbe les activités personnelles, familiales et/ou professionnelles. Le jeu d’argent pathologique est défini comme un ensemble d’au moins quatre symptômes survenant n’importe quand sur une même période de 12 mois.

Cadre légal

Historique

Les jeux d’argent et de hasard ont été régulés en Suisse pour la première fois en 1874, (modification art. 35 de la Constitution). Les loteries et paris ne subissent aucun changement, mais les maisons de jeu sont interdites. En 1920, l’interdiction des maisons de jeu est renforcée et de nouveau assouplie (1928) pour promouvoir le tourisme (les Kursaals avec jeu de boules sont autorisés). En 1923, la Suisse se dote de sa première loi sur les loteries et les paris (LLP), loi qui n’autorise plus que les loteries à but d’utilité publique et qui consacre ainsi les monopoles régionaux de Swisslos et de la Loterie Romande.

Dans les années 1990, la Confédération se trouvant en difficulté financière, le Conseil fédéral propose de remplacer l’art. 35 Cst par le nouvel article 106 qui réintroduit les maisons de jeux en Suisse, celles-ci étant perçues comme une manne financière importante. Cette modification est acceptée par la population et les cantons en 1993, la loi sur les maisons de jeux (LMJ) est ainsi adoptée le 8 décembre 1998 et entre en vigueur le 1er avril 2000. Vingt-et-une concessions de casinos ont depuis été attribuées par la Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ), l’autorité de surveillance. En 2001, la Confédération souhaite réviser la LLP, pour l’adapter aux valeurs actuelles de la société, comprenant entre autres le développement de moyens pour lutter contre la dépendance au jeu. Les 26 cantons préfèrent s’organiser entre eux et adoptent une convention intercantonale en janvier 2005 (CILP), qui verra l’instauration d’une taxe pour la prévention de la dépendance au jeu de 0,5% sur le produit brut des jeux de loteries

et paris en Suisse (Art.18); un organe de surveillance est instauré: la Commission des loteries et paris (COMLOT). Dès lors la régulation du marché est bicéphale, avec deux organes de surveillance qui régulent les jeux d’argent en Suisse : la CMFJ au niveau fédéral pour les maisons de jeux et la COMLOT au niveau intercantonal pour les loteries et les paris. Cette situation provoque une certaine concurrence entre ces deux niveaux de gouvernance.

Le 10 septembre 2009, la Loterie Romande dépose une initiative populaire : « Pour des jeux d’argent au service du bien commun ». L’objectif de cette initiative est de définir les compétences de la Confédération et celles des cantons. Le Conseil fédéral propose un contre-projet amenant au retrait de l’initiative. Le 11 mars 2012 le peuple suisse plébiscite le contre-projet et son nouvel article constitutionnel (106 Cst) par 87% des voix, mais sans réel débat. Le projet de loi entre en consultation à partir d’avril 2014 et le Conseil fédéral adopte le projet de loi en octobre 2015. Les Chambres fédérales adoptent la loi le 29 septembre 2017, sans avoir pris en compte les revendications des milieux de la prévention. Un référendum est alors lancé par la droite libérale qui s’oppose au blocage des casinos étrangers, qui financent par ailleurs largement la campagne en faveur du non. La nouvelle loi sur les jeux d’argent est toutefois acceptée le 10 juin 2018 par 72,9% des votants. La LJAr est entrée en vigueur le 1er janvier 2019, et les lois cantonales d’application, ainsi que les concordats intercantonaux, devront être adoptés au cours de cette année 2020.

Loi fédérale sur les jeux d'argent (LJAr)

La loi fédérale actuelle reprend en grande partie les dispositions et le fonctionnement des deux lois qu’elle a remplacé, conservant ainsi ce régime d’autorisation et de surveillance bicéphale : au niveau fédéral, les casinos, au niveau intercantonal, les loteries. Cette loi introduit tout de même certaines nouveautés notables, dont voici quelques exemples qui concernent les milieux de la prévention :

  • Augmentation de l’offre : les casinos suisses peuvent désormais demander une extension de leur concession pour exploiter des jeux sur internet.
  • Responsabilité pour les cantons : selon l’article 85 LJAr, les cantons sont tenus de prendre des mesures de prévention contre le jeu excessif.
  • Protection de la jeunesse : les jeunes sont particulièrement vulnérables par rapport aux jeux d’argent. La loi prévoit un accès aux jeux dès 18 ans (sauf pour certains jeux de loterie).
  • Publicité : L’article 74 de la nouvelle loi interdit la publicité adressée aux mineurs et la publicité outrancière ou mensongère (par ex. en faisant croire que l’on peut devenir riche en jouant).

La LJAr est complétée par une ordonnance sur les jeux d’argent (OJAr) ainsi qu’un concordat sur les jeux d’argent au niveau suisse (CJA) qui introduit le mécanisme de financement des actions de prévention et de traitement des cantons exigées par l’art. 85 LJAr. Ainsi, selon l’art. 66 du CJA, les loteries sont tenues de verser 0,5% de leur produit brut des jeux aux cantons.